Trikonasana et les trois gunas

Trikonasana et les trois gunas.

 ( Trois angles posture ( tri-kona-asana )... la posture du triangle. )

Trikonasana 
Trikonasana et les trois gunas, Titre d'un roman, d'un film...Ca pourrait être le titre d'un roman d'Agatha Christie.

( En appuyant sur le dessin, petite explication de ce que sont le concept des gunas, avec en prime une jolie histoire..)


Trikonasana, la posture du triangle, fait partie à priori de ces "asanas simples" "basiques "...Le genre de postures qu'on enseigne au tout premier cours "débutant", un peu comme tadasana, adho mukha svanasana, et qui par la suite perd de son intérêt pour certains pratiquants, face au challenge que représente par exemple des asanas difficiles difficile comme eka pada bakasana ou Vrschikasana
( le scorpion )...et pourtant, et pourtant... C'est le genre de posture sans fioriture qui démontre de suite la qualité de pratique du yogi. 

Je me suis donc demandé pourquoi un immense yogi comme Iyengar n'a cessé de la pratiquer tout de sa vie... le reste de l'article est une ébauche de réponse à cette question. Il faudrait sans doute quelques vies pour trouver réponse...


Iyengar et Trikonasana

C'est pourquoi j'ai envie de commencer en montrant en parallèle deux images. Cette mise en parallèle de guruji ( BKS Iyengar ) à 70 ans de distance est suffisamment parlante pour pallier à tout discours. On voit de suite la maturité de la pratique, son évolution incroyable dans la l'alignement, son efficacité et évidemment les bienfaits au niveau de la santé, du mental et de la respiration...

Iyengar dans un article sur la pratique de trikonasana, est capable de donner pas moins d'une centaine d'indications d'actions dans la posture, allant très très loin dans le détail. Pourquoi parler de la manière de placer la peau du gros orteil du pied avant, ou encore celle de tourner l'extérieur de la peu du genou de la jambe arrière. Quel délire, non? C'est tout le délice de la pratique du yoga Iyengar, ce moindre détail à la limite du ressenti. C'est un appel à la conscience, amener la conscience et l'intelligence dans le moindre des recoins de son corps. C'est à partir de la matière la plus grossière du réel, notre corps, que nous pouvons gagner en élargissant sa conscience créant ainsi de l'espace à l'intérieur de son corps-véhicule. Nous cultivons ainsi notre présence à l'instant présent, au réel. C'est à partir d'une posture simple d'apparence, que Guruji n'a pas cesser de pratiquer qu'il est parvenu à atteindre une véritable méditation en action. En regardant la posture à droite , j'ai l'impression que les trois gunas s'équilibrent dans une sorte de perfection intérieure, un accomplissement physique et spirituel.

Dans trikonasana, le corps forme trois triangles : le premier avec les jambes et le sol, le deuxième avec le dessous du flanc face à la jambe tendue vers l'avant et enfin le troisième avec le bras tendu au dessus du corps et les deux pieds. Dans l'idéal, comme le pratique Iyengar à plus de 80 ans, la colonne est parfaitement droite, les hanches de face, les flancs de la poitrine sont pleinement ouverts depuis la région du coeur. C'est une offrande faite au ciel à partir de l'ancrage des pieds au sol, équilibre parfait, sensation de libération et de légèreté, calme ferme de l'esprit, conscience également distribuée à travers toutes les régions du corps.

Symbole Universel

Le triangle est une figure universelle puissante, lien entre terre et ciel. Figure géométrique de la perfection symétrique, le triangle est devenu le symbole de l'accomplissement spirituel et philosophique. Les égyptiens l'ont compris tel quel et ont construit les pyramides dans l'idée de transcender l'imperfection de la vie humaine vers un ordre divin et éternel. 

La symbolique du triangle nous renvoie aux fondements des grandes religions, tel que la trinité du christianisme, la Trimurti indienne ou encore le symbole de la transmutation de la kabbale. Dans mon métier, en utilisant le trépied pour supporter la caméra, j'en vérifie quotidiennement la fonction de soutien.

Et ici je ne peux m'empêcher ce petit clin d'oeil en invoquant l'image de la pochette d'un des meilleurs albums rock de tous les temps.


En pratiquant konasana, ( ou utthita konasana ), ce sont ces archétypes que nous incarnons, en tentant d'équilibrer les différentes forces qui nous animent, les gunas. Selon la philosophie du samkhya, les guna sont les trois formes d'énergies fondamentales d'où émane la réalité ( la manifestation ) à partir de la nature originelle, prakrti. Ces trois éléments fondamentaux de la matière, ou ces trois énergies, sont en constante interaction. Un des buts de la pratique des asanas est de parvenir à l'équilibre parfait de ses trois énergies.


"C'est au travers votre corps que vous réalisez que vous êtes une étincelle de divinité." BKS Iyengar.


Le yoga, l'union, est cette discipline alchimique qui au lieu de transformer le plomb en or, utilise le corps du pratiquant comme véhicule de sa propre transmutation vers le divin ou purusha dans le samkhya. La perception juste au delà du voile des illusions. L'UN avec l'être originel, primordial, libre de tous les conditionnements, attachements, ignorance, souffrances, de la condition humaine. L'état suprême de samadhi pour le yogi.


Les gunas dans la Pratique...

Pratiquer trikonasana, c'est pratiquer physiquement ce chemin vers l'harmonie, l'équilibre des forces qui nous gouvernent mais en même temps qui nous permettent de nous en libérer. Pratiquer trikonasana c'est se mettre face à face à cette incarnation géométrique de la perfection, de la divinité présente en nous. C'est une sorte de balise au quotidien, une boussole, qui devrait nous faire prendre conscience de où en sommes nous dans notre pratique, sur quels chemins sommes nous, par quelles difficultés de notre vie, transitons-nous. 

Tamas c'est lorsque nous nous sentons dans un état léthargique et qu'il est difficile de sortir du lit. Lorsque nous sommes tellement excités au point d'être distrait , nous sommes sous l'influence de « rajas ». et enfin, lorsque notre pratique de yoga est harmonieuse et légère, c'est que nous sommes sous l'influence de « sattva ».

Un des buts de la pratique du yoga est de parvenir à plus de conscience ( sattva ) dans tous les aspects de notre vie, afin de surpasser l'ignorance ( tamas ) et l'agitation ( rajas ), bien que ceux-ci soient également nécessaires et ne sont pas intrinsèquement mauvais. Dans trikonasana, on a besoin d'une certaine lourdeur afin de maintenir l'ancrage de la posture au sol. Pour s'endormir, tamas est nécessaire au même titre que rajas pour se réveiller. C'est seulement lorsque nous avons un de ces gunas en trop que celui-ci nous empêche d'être en harmonie.

La pratique du yoga cherche à nous élever vers un état de conscience dans lequel toutes les dualités sont unifiées dans une parfaite harmonie. Pour parvenir à ce but ultime, le yogi doit aller au-delà de « sattva » parce que celui-ci lie encore subtilement le soi à l'existence matérielle. « Sattva » reste connecté à l'égo et de ce fait perpétue un sens tronqué du Soi. Par exemple, l'engagement dans des œuvres caritatives renforce subtilement l'égo. Comme le souligne la Bhagavad Gita, l'action juste est celle sans attente d'une quelconque gratification. L'espoir, l'attente d'une récompense nous attache encore plus à nos conditionnements. Nous pourrions en effet nous sentir comblé en ayant donné de l'argent pour une juste cause. Le fait de donner est peut être juste l'expression de notre gratitude à recevoir, avec la compréhension profonde que cela ne dépend pas fondamentalement de nous. C'est seulement lorsque nous perçons les voiles de l'illusion , que nous résidons en notre nature divine. Alors lorsque nous pratiquons « Trikonasana », il est utile de se rappeler les fondations solides dont nous avons besoin pour parvenir à vivre une vie dans l'état d'harmonie.


Sans La dimension de la stabilité ( tamas ), de lourdeur et de résistance, cette posture peut apporter agitation, excitation. Sa pratique avec conscience ( sattva ) de ces deux aspects permet de trouver équilibre et harmonie. Une sensation très agréable d'ascendance et d'espace peut se créer à partir de la volonté et de l'ancrage au sol. Si on a besoin de se dynamiser, on va la sauter pour être dans la posture et si au contraire on a besoin de se calmer alors, on l'aborde lentement en marchant et en gardant la posture longtemps en prenant le temps d'emmener à la conscience chaque petite action du corps et de ses résultats sur notre état d'esprit que cela génère.



Et dans ma pratique...
Je voudrais terminer ici en ajoutant ma petite histoire personnelle. . Nous ne sommes pas dans un championnat de posture. Le but de la pratique de trikonasana n'est pas de mettre la main au sol, comme me le rappelait le post d'une connaissance sur Facebook. Mettre la main au sol m'est arrivé naturellement, spontanément après 10 ans de pratique, dont 3 très intense ( 2 à 4hrs par jour + une vie d'athlète) en vue d'obtenir ma "certification". Mon corps se jour là s'est donné, il était prêt et avait besoin d'un travail physique d'allongement plus intense. Je parlerais plus volontiers d'un besoin d'ouverture du corps et non d'un renforcement de la souplesse. Viser uniquement la souplesse serait attendre de sa pratique une récompense qui nous enferme encore plus dans la chaine de nos attachements. La nuance entre ouverture et souplesse du corps est subtil et la conscience de cette différence ne nous parviens que suite à une véritable maturation de sa pratique.

( Encore beaucoup de chemin à faire...)


Chacun. e sa physionomie, il est important de travailler à partir de ses limites et surtout d'ne prendre conscience. Quand j'ai commencé le yoga, je n'avais que peu de conscience de mon propre corps. Ma limite était déjà celle de faire la différence entre la droite et la gauche de mon corps, et question souplesse j'arrivais à peine à toucher mon genou du bout des doigts en trikonasana. L'aspect tamasique était tout à fait dominant et d'un point de vue physique et d'un point de vue de ma propre perception.

Ma posture a évoluée en même temps que ma perception à force de pratiquer intensément. Au départ, l'aspect rajasique, celui d'une grande volonté est nécessaire pour évoluer. Une certaine discipline quotidienne s'installe ressentie comme une nécessité. Trikonasana évolue, la posture devient plus facile, on s'y installe plus longtemps et les effets se font immédiats, les poumons s'ouvrent, les jambes se renforcent et l'esprit parvient à trouver un apaisement. C'est l'aspect sattvatique qui s'installe, une sensation d'harmonie, de contentement dans la pratique.
Trikonasana, du fait du travail d'ouverture des poumons m'a su faire prendre conscience de ma faible capacité respiratoire dû à mon asthme. Peu à peu, je remets ma question ma pratique de son côté par trop rajasique. Je redécouvre l'importance de l'aspect tamasique, sorte de lâcher prise dans la posture qui dépasse les sensations fugaces et superficielles du bien être. Un autre chemin commence au delà de bien faire la posture.

Récemment, l'aspect physique s'est rappelé à moi. J'ai été sans trop de préparation faire le défi d'une marche de 100 kms. Mes fragilités anatomiques sont réapparues entre autre les genoux. Dans trikonasna, dû à la forme arquée de mes jambes, j'ai la tendance de trop venir faire mon appui sur l'extérieur du pied avant au lieu d'insister de mettre le poids sur l'intérieur du pieds à partir de la boule du gros doigt de pied. Ce qui fait que les douleurs réapparaisse à l'articulation interne du genou. Je dois donc pour ré-équilibrer ma posture repasser par l'exploration tamasique du positionnement des pieds et de l'allongement des jambes ainsi que de l'ouverture interne du genou. Là c'est l'aspect volontaire rajassique qui à la longue fera en sorte que je maintienne cette discipline.
Pour résumer les choses, la pratique et particulièrement en trikonasana est un constant travail subtil d'équilibrage des gunas. On doit s'efforcer d'être conscient de son état physique et psychique et selon, travailler le dosage des gunas dans la posture. Si ce jour là je me sens un peu rêveur, flottant, je pratiquerais de manière plus volontaire, plus physique. Ou si je suis nerveux, je tenterais de m'apaiser en pratiquant calmement de manière plus sattvique.


En Guise de Conclusion...

Trikonasana est une posture géniale, parce que en étant très simple elle rassemble et résume les qualités de tous les types de postures. En tant que posture debout ( uttitha shtitti ), elle est emblématique d'un besoin de notre société sédentaire de réapprendre à se mettre debout avec force. Elle est à l'image des postures debout, rajasiques et en même temps dynamisantes. C'est également une torsion ( parivrtta shitii ), avec cette belle ouverture volontaire de la poitrine qui génère une grande sensation d'espace. C'est aussi une inversion ( viparitta shitti ) comme la tête est parallèle au sol et en tant que tel génére un grand apaisement et ramené du sang frais au cerveau le ré-oxygénant ainsi.

La photo d'un photographe génial d'origine finoise..Arno Rafael MINKKINEN, qui pour moi symbolise le travail d'équilibre des trois gunas.