Parivrtta sirsasana

Hommage à l' Arbre Monde

Ashvatta

Les sages décrivent Ashvatta ainsi: - C'est un arbre à l'envers, ses racines vers le ciel, ses branches vers la terre. Ses feuilles sont les chants des Véda.
C'est un arbre cosmique, le symbole du monde. - Les gunas nourrissent ces branches qui se ramifient vers le haut et le bas. Les objets des sens sont ces bourgeons. Ces racines sont les actions du monde humain. - D'ici bas les hommes ne peuvent percevoir son immensité, ni sa fin, ni son origine.

Les sages disent encore: -Cherche l'être originel, purusha, d'où l'univers entier découle.

- Ceux qui sont libres de l'orgueil et de l'illusion, qui ont vaincu le mal de l'attachement, qui sont établis constamment dans le soi, débarrassé de leur désir, affranchis des dualités tel que le plaisir et la douleur, ces êtres libérés de l'illusion atteignent le but éternel.

Bhagavad gita, extraits du chant XV


L'arbre symbolise la place de l'être humain dans l'univers. Toutes les cultures possèdent le mythe d'un arbre fondamental comme soutient du monde , reliant la terre à l'espace. Ygdrasil dans les mythes nordiques ou encore Ashvatta dans les Rig Veda. Arbre puissant avec les racines solidement et profondément ancrées au sol.

Photos d'arbres: Beth Moons, elle a passé sa vie a photographier les arbres à travers le monde


Hommage à l'arbre, aux arbres, à l'arbre monde.

Quelle est le rapport entre toi, mon ami, mon frère l'arbre et une posture de yoga..A priori rien, enfin beaucoup. Parivrtta sirsasana c'est un peu comme être un arbre placé à l'envers. Tu connais le mythe de l'arbre à l'envers, Ashvatta, dans la Bhagavad gita, ou encore Yggdrasil, demeure de Thor,roides dieux, l'arbre des légendes nordiques qui soutient le monde.

Cette forme à priori curieuse, hors du quotidien, me vient d'un mimétisme qui s'inspire de ta nature même. En vertu de quel droit « divin » pourrais je te considérer comme un objet, un objet de la nature, un symbole auquel je me ressource. En faisant parivrtta sirsasana dans un milieu aussi peu naturel, aussi urbain et artificiel que montre la photo,

"Rien de moins précieux irremplaçable qu'un homme, si ce n'est un arbre"

François Mauriac

Je te rassure de suite, je ne vais m'étaler dans un discours bobobio moraliste. L' objet ce cette missive est de te rendre ici hommage et ce à partir d'une posture de yoga. Parivrtta sirsasana.


Yggdrasil, l'arbre monde, demeure de Thor.

Arbre conscience

Ta conscience, et puisqu'il faut des mots, ta capacité à réfléchir te vient non pas d'une unité centrale comme la nôtre, le cerveau mais d'un réseau. Ton intelligence est une somme, somme de toutes tes racines, branches, feuilles qui fonctionne en interaction constante, à l'image de notre internet... Pas de centre, pas de cette illusion d'être un individu isolé, coupé, déraciné de l'unité primordiale du vivant.

En cela tu es mon exemple, en me mettant la tête à l'envers et en tendant du bout des doigts de pied jusqu'à la racine des hanches, je parviens un très court laps de temps par rapport à toi, de distribuer ma conscience à toutes les parties de mon corps si faible.

Crise de la sensibilité

Les héritiers de la modernité occidentale que nous sommes pensent qu'ils entretiennent des relations de type "naturel" avec tout le monde des vivants non humains, car toute autre relation envers eux est impossible. Les relations possible dans le cosmos des modernes sont de deux ordres: ou bien naturelles, ou bien socio-politiques, et les relations socio-politiques sont réservées exclusivement aux humains. Cela implique qu'on considère les vivants essentiellement comme un décor, comme une réserve de ressourcement ou comme support de projection émotionnel  et symbolique. Etre un décor et un support de projection, c'est avoir perdu sa consistance ontologique. Quelque chose perd sa consistance ontologique quand on perd la faculté d'y faire attention comme un être à part entière, qui compte dans la vie collective.  Eduardo Viveiros de Castro ( dans "Manières d'être vivant" de Baptiste Morizot )

Beth Moons

Mes pieds deviennent une fraction de seconde mon cerveau... Expérience qui chez toi est parfois longue de plusieurs milliers d'années. Mes pieds se retrouvent dans le soi-disant vide de l'air et c'est ainsi qu'ils peuvent enfin sortir de leur fonction de support au poids du corps. Sortir de la posture du quotidien, être debout et marcher à l 'envers comme moyen de rendre enfin vivante, vibrante touts les parties de ce corps si maltraité. C'est retrouver quelques instants la coulée de sève primordiale, amrita le liquide d'éternité. Cette sève qui se répand à nouveau Cette sève qui se répand à nouveau dans toutes les parties de ton être à chaque printemps et se rétracte à chaque hiver. Mouvement naturel du cycle de mort et de renaissance. Serait-ce cela, cette même sensation de reliance au monde que je nomme beauté parce qu'elle se traduit dans mon être par une émotion.

L'arbre du Yoga

Pour faire pousser une plante, on commence par creuser le sol. Enlever les cailloux et les mauvaises herbes  et ramollir la terre. Puis on enfouit la graine et on l'entoure de terre molle, si délicatement que lorsque la graine s'ouvrira. Elle ne sera pas endommagée par le poids de la terre. Enfin, on arrose un peu la graine et on attend qu'elle germe et qu'elle croisse. Au bout d'un ou deux jours une pousse sort de la graine, grandit et devient une tige. Puis la tige se divise en deux branches et produit des feuilles. Elle se développe régulièrement jusqu'à devenir un tronc et produit des branches dans diverses directions avec de nombreuses feuilles.

De la même façon, l'arbre du soi nécessite des soins. Les sages d'antan, qui firent l'expérience de la contemplation de l'âme, en découvrirent la graine dans le yoga. Cette graine a huit segments qui, au fur et à mesure que l'arbre grandit, donnent naissance aux huit membres, ( ashtanga yoga ) ou étapes du yoga. Yama, niyama, asana, pranayama, pratyahara, dharana, dhyana, sadhana.

Extrait de l'arbre du Yoga, BKS Iyengar.

BKS Iyengar et son élève le célèbre violoniste Yehudi Menuhin en Suisse dans les années 60


Le Beau est reliance

Le beau est une émotion sacrée, de reliance à la sensation d'unité du monde, de ce rattachement essentiel à la vie... C'est en cela que réside le secret d'amrita, le liquide d'éternité, ce cycle ininterrompu des histoires individuelles qui se répètent à l'infini jusqu'à la disparition annoncé de notre soleil. C'est là tout le mystère, celui de la disparition ou non de la vie... Et là peut être, qu'une de tes petites graines, ou encore plus minuscule de bactérie va être catapulté par un astéroïde qui essaimera la vie à l'autre bout d'un autre univers.

La beauté, on sait aussi ce que c'est. Pour peu qu'on y songe cependant, on ne manque d'être frappé d'étonnement; l'univers n'est pas obligé d'être beau, et pourtant il est beau. A la lumière de cette constatation, la beauté du monde, en dépit des calamités, nous apparaît également comme une énigme.

François Cheng (Cinq méditations sur la Beauté )

Shiva buvant l'amritta, la boisson d'éternité, poison pour le non sage.

Mon grand frère

Cher arbre tu es mon grand frère, mon aïeul, un modèle de beauté, de survivance d'une très grande sagesse. C'est pourquoi, timidement, maladroitement, de mon espace urbain, dénaturé je te rends un hommage que j'espère vibrant à travers une posture de yoga. Les asanas sont parfois ces lettres esquissées d'un alphabet oublié. Nos ancêtres le connaissait, nos villes nous l'on fait oublier. C'est le prix de notre soi disant supériorité sur le vivant. Quel orgueil qui nous dirige vers notre propre auto destruction. En quoi suis-je supérieur par rapport à un être résiliant qui vit le temps de multiples vies humaines. Oui je peux te couper en quelques minutes, voir en quelques secondes et te transformer en planches, mais ce pouvoir de destruction fait il de moi un être supérieur. Tes semblables ont rendu la vie possible sur cette planète grâce à l'oxygène que vous avez disséminé sur toute la planète.

Merci

Le moindre que je puisse faire c'est de te rendre hommage. Parivrtta sirsasana est ma prière, ma dévotion vivante envers ton être. Faible imitation , sans doute, que j'essaie de rendre la plus lente possible. Un long apprentissage de ce qu'est son centre de gravité car on inverse la gravité. De là s'écoule à l'instar de la sève chez toi, le flux du canal d'énergie central depuis le sommet du crâne jusqu'au bout des doigts de pied. Ces canaux d'énergie primordiale qu'on nomme les nadis selon la science empirique du yoga, n'ont jamais encore était identifiés par la science rationnelle. Je pourrais ici parler de sushuma, le canal central dont le flux est d'autant plus amplifié par l'étirement des jambes. Il ne s'agit pas de science exacte ici, mais d'une sensation puissante de vie et de montée d'énergie, alors quelle importance d'y mettre des mots comme autant de frontières.

En essayant maladroitement d'imiter ta forme dans un mouvement qui me semble à moi très lent et qui doit te sembler à toi extra rapide, je te rends hommage. Merci d'exister, et ainsi de permettre mon existence.

Namaste.


Ashvattha , Le Figuier Saint


« Je me prosterne devant le Figuier Saint : Devant Brahma dans sa Racine, (Aum) Vishnou dans son Tronc, (Tat) Et Shiva dans sa Frondaison ! (Sat) ». Ashvattha stotram, 16

« ...c'est vers le bas que se dirigent ses branches, c'est en haut que se trouve sa racine, d'en haut que ses rayons descendent sur nous ! » Rig-Véda
« Ses branches sont l'éther, l'air, le feu, l'eau, la terre... » Maitry-Upanishad

« Ce figuier éternel dont les racines vont vers le haut, les branches vers le bas, c'est le pur, c'est le Brahman. On l'appelle l'immortel (la Non-mort). Tous les mondes reposent en lui. » Katha-Upanishad (section VI)